Origine de la vie : une nouvelle piste dans les océans il y a 4 milliards d’années,
Dans une lettre adressée à son ami, le grand botaniste et explorateur britannique Joseph Dalton Hooker, Darwin évoque brièvement en 1871 un lieu et un scénario possible pour cette origine : « Quelque petite mare chaude, en présence de toutes sortes de sels d’ammoniac et d’acide phosphorique, de lumière, de chaleur, d’électricité, etc. », où « un composé de protéine fut chimiquement formé, prêt à subir des changements encore plus complexes ».
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Une variante de ce scénario sera considérée au XXe siècle tout d’abord avec la théorie de la soupe chaude primitive proposée par les biochimistes Alexandre Oparine (1894-1980) et John Haldane (1892-1964) dans les années 1920, puis avec la fameuse expérience de Miller en 1953.
Depuis cette date, le problème de l’apparition des premières cellules vivantes est resté notoirement difficile et peu de progrès ont été accomplis. Une percée avait cependant été faite la même année lorsque Crick et Watson ont découvert la structure de l’ADN. Mais c’était pour être rapidement confrontés à un problème du type de celui de l’œuf et de la poule pour expliquer l’origine du métabolisme et celle du système génétique.
L’expérience Miller met en évidence les origines chimiques de l’apparition de la vie comme l’explique cet extrait de la neuvième émission du magazine Cassiopée, Sommes-nous seuls dans l’univers ? (France Supervision, 1996) avec un texte et la voix off de Jean-Pierre Luminet. Il est possible de trouver d’autres vidéos similaires sur le site du projet multiplateforme francophone sur la cosmologie contemporaine « Du Big Bang au vivant ». © Jean-Pierre Luminet
Métabolisme, système génétique et membrane en coévolution
Rappelons ce que Futura avait déjà expliqué dans un précédent article. Le métabolisme est l’ensemble des processus qui permettent à un être vivant de fabriquer (anabolisme) ou de détruire (catabolisme) ses constituants (sucres, protéines, lipides…) à partir de précurseurs et qui assurent aussi la collecte ou la production d’énergie.
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Le système génétique repose, lui, sur l’ADN qui contient l’information permettant la synthèse des protéines du vivant. Problème : certaines de ces protéines, des enzymes, sont nécessaires à la duplication de l’ADN par leur propriété de catalyseurs.
On a cependant découvert que l’ARN, qui joue un rôle primordial dans la construction des protéines à partir de l’information issue de l’ADN, pouvait avoir des propriétés autocatalytiques lui permettant de se comporter un peu comme des enzymes. Cette observation a conduit à postuler qu’un « monde d’ARN » a peut-être, à l’aube de la vie, précédé celui de l’ADN et des protéines.
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Mais un système génétique et des mécanismes pour le métabolisme ne suffisent pas pour la vie. Il faut aussi des compartiments dans lesquels prennent place le métabolisme et le système génétique. En d’autres termes, se pose le problème de l’origine des membranes cellulaires à base de lipides.
Les scientifiques restent confrontés depuis lors à un véritable nœud gordien faisant intervenir l’origine du métabolisme, celle du système génétique et enfin celle de la compartimentation de la vie. Dans quel ordre ces trois composants sont-ils apparus et comment ? On tente de trancher ce nœud en partant de l’hypothèse qu’ils ont dû coévoluer tout en se complexifiant. Mais comment cette coévolution s’est-elle mise en place ?
Quel contexte géochimique pour l’apparition de la vie ?
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Toujours est-il que pour tenter d’y voir plus clair, les recherches doivent avancer sur plusieurs fronts et des rebondissements concernant des hypothèses un temps favorisées ou défavorisées sont inévitables. Un dernier avatar de cette dialectique peut se trouver en consultant une publication dans le numéro de décembre de la revue Physics of Life Reviews. Il s’agit du fruit d’une vaste étude dans laquelle trois chercheurs de l’université de Grenade, de l’Institut de physique du globe de Paris (Université de Paris, IPGP, CNRS) et de l’université de Brême, proposent un nouveau scénario concernant les conditions géochimiques régnant à la surface de la Terre primitive de l’Hadéen, il y a donc au moins 4 milliards d’années.
Un affleurement de roches métamorphiques à Porpoise Cove, de la ceinture supracrustale du Nuvvuagittuq (Canada). Certaines de ces roches ont un rapport Sm/Nd indiquant un âge pouvant être de plus de 4 milliards d’années mais il n’est pas clair que ce soit l’âge réel de la formation de ces roches. Elles feraient de toute façon partie des plus anciennes roches sur Terre. © Nasa Astrobiology Institute
Un affleurement de roches métamorphiques à Porpoise Cove, de la ceinture supracrustale du Nuvvuagittuq (Canada). Certaines de ces roches ont un rapport Sm/Nd indiquant un âge pouvant être de plus de 4 milliards d’années mais il n’est pas clair que ce soit l’âge réel de la formation de ces roches. Elles feraient de toute façon partie des plus anciennes roches sur Terre. © Nasa Astrobiology Institute
Rappelons que l’ère géologique de l’Hadéen a de bonnes raisons de porter son nom puisque Hadès est le dieu grec des Enfers. Juste après la collision à l’origine de la Lune, très probablement moins de 100 millions d’années après la naissance il y a environ 4,56 milliards d’années de la Terre primitive, celle-ci était recouverte d’un océan de magma et l’atmosphère devait largement être composée de gaz carbonique avec un peu d’azote et de vapeur d’eau, atteignant des pressions de l’ordre de 70 atmosphères. Autant dire que notre future Planète bleue ressemblait à l’enfer vénusien actuel. Toutefois, on a des indications en faveur d’un refroidissement assez rapide et même de l’existence d’océans déjà il y a plus de 4 milliards d’années.
Mais les débats sont loin d’être terminés en ce qui concerne l’état de l’atmosphère et des océans à la fin de l’Hadéen. La mémoire géologique de la Terre datant de cette période a été largement détruite par la tectonique des plaques, ouvrant et fermant des océans, déchirant et collant des continents. Il est donc difficile de trouver des roches datant de l’Hadéen, d’autant plus que les informations qu’elles peuvent contenir ont été brouillées, dégradées, voire effacées, par le métamorphisme et la géodynamique terrestre.
Le travail publié par les chercheurs avance toutefois des arguments laissant penser qu’il y a 4 milliards d’années, une atmosphère riche en méthane et des océans basiques et riches en silice existaient. On tendait plutôt à penser avant ce travail, en se basant sur des roches plus jeunes datant de l’Archéen, l’ère géologique qui suit l’Hadéen et se termine il y a environ 2,5 milliards d’années (avant la Grande Oxydation), que les océans de la fin de l’Hadéen étaient principalement composés d’acide carbonique de formule H2CO3.
Si ces cinquante dernières années ont vu une grande quantité d’avancées scientifiques sur la question de l’apparition de la vie sur Terre, la question passionne toujours autant les scientifiques. De quels outils disposent-ils ? Sommes-nous réellement issus de poussières d’étoiles ? Que reste-t-il à découvrir ? © CNRS
Mais, d’après les géochimistes, comme les roches ignées, volcaniques, de l’Hadéen étaient probablement et surtout des roches appelées ultramafiques propres à cette période (un exemple très connu étant celui des laves que l’on appelle des Komatiites), les réactions chimiques avec l’eau des océans auraient en fait rendu celle-ci plutôt alcalines, produisant de l’hydrogène et synthétisant des composés carbonés comme l’explique un communiqué de l’IPGP. Ces réactions sont connues comme celles menant à la serpentinisation et à celles dites de Fischer-Tropsch. Très rapidement, ces réactions auraient contribué à pomper le CO2 de l’atmosphère de la jeune Terre et à la synthèse de méthane.
Le même communiqué explique également que l’on retrouve des dépôts riches en silice sur de rares restes d’anciens fonds marins préservés par la tectonique des plaques dans les noyaux continentaux rocheux que sont certains cratons, pour reprendre le jargon des géologues, datant de l’Archéen. On trouve aussi des roches particulièrement riches en silice également dans ces cratons et dans les fameuses ceintures de roches vertes.
Tout cela est parfaitement compatible avec l’idée, avancée par les chercheurs, d’océans devenus alcalins et producteurs de silice rapidement pendant l’Hadéen. Or, selon eux, ces conditions étaient alors idéales pour une nouvelle synthèse, celle de structures minérales auto-organisées (ou Misos pour mineral self-organized structures) à base de silice, d’éléments carbonés et d’oxydes métalliques.
Biomorphe de silice et carbone, un exemple de Misos. Notez l’échelle en micron en bas à gauche. © IPGP
Biomorphe de silice et carbone, un exemple de Misos. Notez l’échelle en micron en bas à gauche. © IPGP
Une variante de l’hypothèse AHV ?
On ne peut s’empêcher de penser, avec cette nouvelle théorie, à celle de Michael Russell, connue en anglais sous le titre de Alkaline Hydrothermal Vent/serpentinization (AHV) hypothesis.
Faisons-en un exposé rapide déjà présenté par Futura. Sous la croûte océanique, on trouve des roches cousines des roches ultramafiques appelées péridotites. Au niveau des dorsales, là où le manteau est à faible profondeur, ces roches sont infiltrées par l’eau de mer, ce qui les conduit à devenir une autre roche appelée serpentinite. Les réactions chimiques à l’œuvre sont justement celles dont on a parlé précédemment, c’est-à-dire avec le terme de serpentinisation. Elles produisent alors notamment du dihydrogène (H2), source d’énergie potentielle pour d’autres réactions chimiques, et du méthane (CH4) que l’on va retrouver dans l’eau des sources hydrothermales appelées fumeurs blancs. Cette eau est fortement basique (pH de 13) et, généralement, à 100 °C lorsqu’elle finit par ressortir dans un océan bien plus froid et plus acide. La production de méthane est là aussi abiogénique et s’explique par la réduction du CO2 par l’hydrogène selon une réaction catalytique de type Fischer-Tropsh.
Or, la serpentinite se trouve également dans les parois des fumeurs blancs, dans lesquels les fluides alcalins peuvent interagir avec de l’eau de mer plus acide en formant des pores dans la roche avoisinante. Celle-ci agit alors comme une sorte de percolateur, concentrant des substances chimiques prébiotiques et pouvant accroître la probabilité d’apparition de l’ADN ou de l’ARN. En outre, les pores forment naturellement des cavités protectrices de ces acides nucléiques, comme le feraient des membranes cellulaires.
Les Misos auraient pu avoir un rôle similaire en devenant l’équivalent de ces réacteurs chimiques naturels. Les premières cellules pourraient donc être des dérivées de ce type d’environnement.
Pour en savoir plus
Origine de la vie : une nouvelle piste, celle des pierres ponces
Article de Laurent Sacco publié le 07/09/2011
Des chercheurs des universités d’Oxford et de Western Australia viennent de publier une intéressante proposition dans le journal Astrobiology. Les pierres ponces flottant sur la soupe chaude primitive des océans de la jeune Terre pourraient avoir été le lieu de l’apparition de la vie.
Les trois grandes questions scientifiques fondamentales que nous a léguées le XXe sont certainement celles de l’origine de l’univers, du rapport entre l’esprit et la matière et enfin de l’origine de la vie. Si l’on devait faire des pronostics sur la possibilité de répondre à ces trois énigmes au cours du XXIe siècle, la dernière aurait certainement des chances non négligeables d’être enfin résolue.
Pourtant, en ce qui concerne les différentes étapes ayant mené du Big Bang au vivant, on en sait beaucoup plus sur l’origine des noyaux, des étoiles, des galaxies et des planètes que sur l’apparition de l’ADN et des premières cellules. Depuis la théorie de la soupe chaude primitive proposée par les biochimistes Alexandre Oparine (1894-1980) et John Haldane (1892-1964) dans les années 1920, les progrès ont été lents.
À cette époque, les deux chercheurs avaient proposé que des molécules organiques auraient pu se former sur la Terre primitive à partir d’une atmosphère ressemblant à celle de Jupiter, c’est-à-dire constituée de dioxyde de carbone, de méthane, d’hydrogène, d’ammoniac et de vapeur d’eau, sous l’action du rayonnement ultraviolet du Soleil. Ces molécules tombant dans les océans de la Terre sortant de l’Hadéen, auraient constitué une « soupe chaude primitive » dans laquelle l’évolution chimique prébiotique aurait fini par faire apparaître la vie.
Les expériences de Stanley Miller ont montré par la suite que l’on pouvait synthétiser de cette façon des acides aminés mais à partir d’un mélange gazeux soumis à des décharges électriques, supposé reproduire l’atmosphère primitive soumise à des éclairs d’orage.
Le biochimiste russe Alexander Oparine, à l’origine d’une hypothèse sur la formation des premières molécules organiques sur Terre, parle (en russe, traduit ensuite par son interlocuteur) de la possibilité, dans un avenir pas très éloigné, de synthétiser la matière vivante, en choisissant judicieusement les différentes étapes à suivre. © Ina
Depuis, d’autres hypothèses ont été avancées, comme le rôle de dépôts de sel. La découverte des sources hydrothermales a par exemple ouvert la porte à la possibilité que la vie soit apparue dans les parois des fumeurs noirs ou blancs au fond des océans primitifs.
Des réacteurs chimiques naturels ?
Un autre lien possible avec l’activité volcanique vient aujourd’hui d’être proposé par Martin Brasier, de l’université d’Oxford, et David Wacey de l’University of Western Australia. Dans un article publié dans Astrobiology (donné en lien ci-dessous), les deux chercheurs font remarquer que les pierres ponces qui flottent sur l’eau en formant de véritables tapis de roches présentent des caractéristiques prometteuses pour comprendre l’apparition des premières formes vivantes.